Tel un diable jaillissant de sa boite !


On est parfois perdu sur des positions assez simples. Nos pièces sont développées, le roi est à l’abri, et il ne semble pas y avoir de défaut chez notre adversaire. Alors, nous avons bien quelques idées : finir de développer, mettre une pression sur un pion faible, placer une tour sur une colonne semi-ouverte, jouer un coup prophylactique, viser ou créer une case faible. Mais le calcul nous perd et l’évaluation d’une position, sans gain tactique devient compliquée.

Bref… on fait quoi ?

Reste à utiliser le conseil d’Igor Smirnov :

« Qu’est-ce que je peux attaquer chez mon adversaire ?« 

Chez l’adversaire signifie : les rangées 5 à 8 quand on a les Blancs. Si on utilise cette idée avec celles citées précédemment (sortir un cavalier, mettre une pression sur un pion faible même s’il est déjà protégé, etc.) le choix va se limiter rapidement. Ok, jouer (enfin) un coup comme 14. Tad1 sur une colonne semi-ouverte activera la tour et c’est tant mieux. Mais si un autre coup candidat permet (pourquoi pas) d’attaquer une deuxième fois un pion simplement protégé par le roi adverse, il y a de fortes chances que ce soit le coup à retenir. Parfois ce coup « d’attaque » n’apporte pas un avantage net mais s’il permet à l’adversaire de modifier sa défense, s’il le force à réfléchir sur 2-3 options difficiles à calculer, ou si cela autorise une implantation gênante d’une de nos pièces chez l’adversaire, pourquoi pas.

Parfois, il n’existe pas de coup répondant à ces critères « agressifs ». Mais il faut alors en envisager un qui menace une autre pièce, même si ce n’est pas dans l’immédiat. L’adversaire va devoir éventuellement réfléchir sur l’intérêt de capturer notre pièce qui vient de se déplacer, sur l’intérêt (ou pas) de protéger la case qui est visée par cette pièce, ou sur l’intérêt de jouer autre chose.

Attention : l’adversaire peut proposer un échange. Toujours bien peser les avantages et les inconvénients d’une telle décision. S’il n’existe pas de compensation, on a aucun intérêt à entrer dans ce jeu. Au contraire, laisser l’adversaire perdre encore un coup pour pratiquer cet échange (souvent la bonne option) et on en profite pour optimiser notre position.

Il ne faut pas non plus négliger certains coups ressemblant à un sacrifice, surtout si cela aboutit à un affaiblissement net de la sécurité du roi adverse. Valeur d’un cavalier sacrifié =3.25. Si le roque adverse perd deux pions=2, dégageant un roi devenu fragile = 0.33 (avantage stratégique), et si en plus nos pièces sont en place, cela est peut-être intéressant à évaluer : on perd 1 point mais au profit d’une activité accrue de nos pièces.

Enfin, après une capture, on peut être tenté de reprendre la pièce adverse qui vient de capturer une des nôtres. Mais avant de le faire, on devrait toujours avoir en tête les options qui donnent des suites forcées : menace de mat, échecs, capture, autres menaces.

Se méfier des idées des moteurs d’analyses ! Si stockfisch donne un évaluation favorable à certains coups, cela sous-entend que la suite est du même niveau que Stockfish. Mais nous ne somme pas Stockfish et notre adversaire non plus. A quoi bon pour les blancs de jouer un coup qui fait passer l’évaluation de 0.87 à 2.,15 si la suite est compliquée et qu’on risque à tout moment de prendre une contre attaque fatidique qui remet les pendules à l’heure quand on rate l’unique coup (ou la série de coups uniques) qui nous aurait permis de gagner ? Autant retenir celui qui nous fait passer de 0.87 à 0.95 selon Stockfish, avec une suite plus facile à calculer !

En permanence, on devrait repérer les cases faibles et les pièces pas ou mal protégées (ah bon, vous ne le faites pas à chaque fois ?). Sans négliger la sécurité de nos pièces, la tactique intervient avec des enfilades, des fourchettes et des clouages pour arriver à nos fins. Par exemple si une de nos pièce est attaquée, peut-elle se déplacer et créer une menace ailleurs (un fou peut facilement clouer, un cavalier peut rapidement poser une fourchette, etc.)

L’adversaire ne sera certainement pas en reste et pourra, lui aussi, jouer de tels coups. Si une pièce est attaquée, nous avons souvent tendance à la mettre en sécurité quelques cases plus loin, ou à la surprotéger. Mais ce serait négliger la trilogie échec-capture-menace et ces idées offensives.

Ne pas oublier que, sans en faire la chasse, le moindre gain d’un pion sera toujours préférable à un avantage stratégique (surtout à petit niveau).

Bien sûr, il n’est pas toujours possible de porter une attaque (échec-capture-menace) dans le camp adverse. Mais, de façon générale, tant que l’adversaire a plusieurs bonnes réponses théoriques, le risque d’erreur dans son calcul est grand. C’est pourquoi tout ce qui menace quelque chose doit être considéré.

D’autres idées en vrac :

  • Un de mes pions est attaqué. Est-ce que je peux, moi aussi, attaquer un pion de l’adversaire (si c’est plutôt une pièce de plus grande valeur, tant mieux !) ?
  • Une pièce adverse est correctement protégée. Vraiment ? ne serait-il pas possible de supprimer son défenseur ?
  • La position est compliquée (qui reprend quoi en premier, avec trois variantes à chaque fois…). Avant de se lancer dans des calculs hasardeux, rechercher un coup d’attaque. L’échec intermédiaire est un coup redoutable.
  • S’orienter vers des coups forcés, supporté par la tactique, est très souvent préférable.
  • Ne pas oublier que si le coup retenu porte une menace dans l’environnement proche du roi adverse, il mérite d’être considéré.
  • Ne pas s’arrêter à la simple réponse de l’adversaire lors du calcul. Tant qu’il y a des possibilités d’échecs ou de capture, d’un côté comme de l’autre, il faut continuer à calculer.

Igor développe régulièrement ces notions dans ses vidéos (en anglais : mais profitez des sous-titres ou de l’approximative traduction en ligne). Pourquoi pas en visionner une de temps en temps afin de s’en imprégner , comme celle-ci ou celle-là (même si on peut lui reprocher ses titres un peu racoleurs !). Et puis travailler avec un partenaire d’entrainement ou contre un moteur d’échecs pas trop puissant afin que des occasions se présentent pour appliquer ces notions.

Exploiter les exercices tactiques sur Lichess


Usuellement, on va sur les exerces tactiques de Lichess (ou Chess Tempo, Chess.com… peu importe), et on passe un certain temps à résoudre les problèmes proposés. On peut alors être fier d’avoir une cote à 1700, ou 2100 ou 2400. Et le lendemain on recommence comme il est souvent conseillé, afin de pratiquer 15 minutes de tactique quotidiennement.

Sauf que…

Sauf que dans un processus d’apprentissage et d’amélioration, il n’est pas certain que cela soit réellement utile.

En outre, malgré cette routine quotidienne, qui ne s’est jamais dit : « Ah, zut, oui… je n’avais pas vu le fourchette après la capture ! » ou « J’aurais pu mater, je n’avais pas vu que le pion était cloué« . Et pas forcement dans des suites de 4 à 5 coups !! Et on passe au problème suivant sans se demander pourquoi cette fourchette n’a pas été vue ou que le clouage du pion n’a pas été exploité.

Noël Studer (Next Level Chess) préconise de résoudre un stock d’exercices dont on trouve la solution dans 60-75% des cas. Moins de 55-60% de réussite : les exercices sont trop durs et cela ne nous apprend pas à repérer les schémas tactique et leurs enchainements. Plus : nos neurones ne créent pas de nouvelles connections et on vit sur nos acquis sans s’améliorer.

Bref : il faut souvent revoir les bases !

Lichess classe les tactiques notamment dans deux catégories : les tactiques de base et les tactiques avancées. Il reste les mats, et les tactiques en fonction de la position (finale, ouverture, conserver un avantage, etc.)

Les tactiques de base (élémentaires), ne sont pas si nombreuses que ça : le clouage, l’enfilade, la fourchette, l’attaque double et la capture du défenseur. Ce sont d’ailleurs les premiers chapitres de beaucoup de livres de tactique (Nunn, Polgar qu’il conviendra peut-être de travailler avant d’aborder la tactique sur Lichess). Le tout vient souvent se compliquer avec des attractions et des déviations. On remarquera que le clouage, l’enfilade et le rayon-X procèdent à peu près du même schéma.

Si on veut exploiter tout ça, il faut oublier les 15 minutes de tactiques quotidiennes en mode normal sur Lichess avec un mélange de tactiques diverses, et ne plus se soucier du classement tactique affiché. Il serait préférable de se consacrer à une tactique particulière pendant un certain temps.

Le rythme : 1 semaine complète d’une tactique de base (disons les clouages), ou deux semaines, ou un mois ! Tous les jours, ou 5 jours par semaine. C’est open bar.

Quand on commence un cycle avec une tactique de base : choisir le niveau -600 (le plus faible) et faire 10 exercices (10, c’est plus facile pour repérer le taux de résolution). Il est fort probable qu’au moins 7 à 8 exercices seront résolus. Tant mieux. Sinon, soit refaire 10 exercices jusqu’à atteindre les 60-70% de réussite soient atteints, soit réviser les bases. Si le test est satisfaisant, on passe au niveau supérieur (-300 si on a commencé à -600), 10 exercices. Trois options (transposable selon les niveaux atteints) :

  1. Taux de résolution <50-60% : refaire une série au niveau inférieur (ou rester à -600)
  2. Taux de résolution 60-75% : c’est le bon niveau pour travailler
  3. Taux de résolution >75-80% : on peut passer au niveau supérieur (ou rester à +600. Envisager de devenir GMI si le classement Lichess est supérieur à 2400 !)

Et ainsi de suite selon sa disponibilité : quelques dizaines d’exercices par jour. Ne pas se soucier du classement : c’est bien le taux de résolution qui importe. Recommencer éventuellement une nouvelle série dans le niveau qui permet un taux de résolution de 60-75% (soit 5 à 8 exercices résolus sur 10). Cela peut donner dans les quelques dizaines d’exercices quotidiens.

Entre deux, il y a toujours possibilité de faire des Puzzle Streaks qui n’impactent pas le classement tactique.

Quand un cycle d’une tactique de base est fini, on passe à une autre tactique de base.

Et rien n’empêche de compliquer le travail sur le même principe avec en plus des exercices de finales de pions et de tours, des mats en 2 coups, etc.

Enfin, les plus acharnés pourront placer les exercices non résolus dans une étude Lichess et les inclure dans une méthode Woodpecker ou de répétitions espacées. Soyons fous !

Il est utile de noter sa suite de coups et les différentes options avant de regarder la solution. Enfin, il faudra aussi comprendre pourquoi la solution n’a pas été trouvée (souci dans le protocole de réflexion ? visualisation compliquée ? concentration difficile ?). On constate que lorsque le niveau s’élève, un mélange de tactiques peut s’ajouter au thème de base (d’abord une suppression de défenseur, puis capture de la pièce défendue, puis poser sa pièce sur la case qui n’est plus contrôlée par la pièce capturée, puis enfin la fourchette).

Cela vous inspire ? Et vous, comment travaillez vous la tactique ?

Améliorer le calcul


Le coach indien Ramesh en a fait un livre. Je ne l’ai pas lu, mais d’autres joueurs l’ont fait pour nous.

Notamment Martin B. Justesen sur le blog « Say Chess » : Chess Calculation Insights From GM RB Ramesh. Il semblerait que sans améliorer la visualisation, il n’y aura pas d’amélioration des capacités en calcul. Vous êtes prévenus !

Visualisation et évaluation sur 2.5 coups


Réfléchir aux échecs, c’est un peu comme si on faisait de la physique quantique : soit on prévoit 5 à 10 coups (ou plus) sur une suite forcée, soit on réfléchit sur 1 à 3 coups sur plusieurs coups candidats !

J’ai lu quelque part qu’un moteur d’échecs réglé sur une profondeur de 2 coups a un niveau de 1600 elo (environ, allez on va dire entre 1500 et 1700), et Andrew Soltis nous dit aussi que réglé sur 4 coups, c’est équivalent à un niveau de Maitre (2100-2300 elo). Donc, se contenter de 2.5 coups devrait être suffisant dans la plupart des cas.

L’adversaire vient de jouer :

  • Un coup : on envisage notre réponse, et on regarde ce que peut jouer l’adversaire.
  • Deux coups : sur cette réponse on regarde ce qu’on peut jouer, et ensuite comment l’adversaire réagit
  • Deux coups et demi : est -ce que je peux répondre de façon satisfaisante ?

Dans la majorité des cas, 2,5 coups suffisent si la position ne requiert pas une analyse tactique avancée. Un des corollaires : même si vous avez en face de vous un joueur nettement meilleur, 2.5 coups suffisent, pas la peine d’aller plus loin (et inversement : face à un joueur moins fort : il faut aussi réfléchir sur 2.5 coups).

L’aptitude au calcul nécessite deux compétences : la visualisation, et l’évaluation (évaluation avant de commencer à réfléchir, et avant de jouer son coup candidat).

Quelques pistes pour travailler la visualisation.

  • Connaitre la couleur des cases en fonction de leurs coordonnées. En fermant les yeux, quelle est la couleur de la case a1 ? b2 ? c3 ? etc. Puis couleur de la case a8 ? b7 ? c6 ? etc… (autant en se mettant du coté blanc que du coté noir). Couleur de a1, a2, a3 ? etc. On peut aussi visualiser la couleurs des cases sur lesquelles les pièce se trouvent lors de la position initiale. En allant plus loin, on peut, pourquoi pas, visualiser les couleurs de cases des premiers coups d’une ouverture. 1. e4 : quelle couleur? 1. … c5, quelle couleur ? Cf3, quelle couleur ? et ainsi de suite.
  • Préparer un échiquier avec un roi, une tour, un cavalier et un fou, disposé de façon aléatoire. On peut commencer avec moins de pièces. Regarder la position et fermer les yeux pour le reste de l’exercice. Demander à un partenaire d’entrainement de déplacer une pièce et de dire (par exemple, si la tour se trouve sur la colonne c ou la 8eme rangée) : « Tour, c8« . On devra alors dire à haute voix les coordonnées des pièces et quelles sont les nouvelles interactions entre celles-ci : « Désormais la tour est sur la même ligne que le roi, et est sous la protection du cavalier. » Accessoirement dire la couleur des cases de chaque pièce. Répéter l’exercice autant de fois que le cerveau sera disponible ! 10, 30, 40 coups.
  • Études de mats : on évoque ici les 5334 problèmes de Laszlo Polgar. Mais Chessbase nous donne la possibilité de créer ces études.
  • Lire des parties sans déplacer les pièce sur un échiquier, disposer les pièces sur un échiquier lorsqu’on arrive à un diagramme, comparer le résultat de la visualisation avec le diagramme et continuer la partie de la même manière. L’emploi d’un logiciel est tout aussi valable : lire les 5 premiers coups, disposer les pièces sur un échiquier, comparer, corriger la position si besoin, et recommencer. Si 5 coups est trop compliqué, descendre à 2 ou 3 coups.

Quelques pistes pour travailler le calcul et l’évaluation

  • Un peu à la manière des échecs en solitaire : choisir une partie de grand-maitre et une position remarquable. La travailler sur 2.5 coups. On peut utiliser un livre d’ouverture (tel que le NCO avec ses tableaux ésotériques) et choisir une ouverture dont une variante est jugée soit peu claire, soit égale. Y réfléchir sur 2.5 coups.
  • Jouer aux dames : certaines écoles d’échecs soviétiques encourageaient leurs élèves à pratiquer ce jeu en fin de session afin de se décontracter tout en gardant un esprit d’analyse !
  • A la fin du calcul de quelques coups, donner une analyse de la future position (attention : les pièces doivent rester en place), avec =, +-, +/-, etc. Tester éventuellement ses capacités d’analyse avec Chessval.

Il est certainement utile de s’habituer (= s’entrainer !) à évaluer la menace de l’adversaire. Puis quand ce réflexe est acquis, prendre l’habitude d’envisager les meilleurs coups candidats possibles. Puis systématiser la réflexion sur les réponses possibles de l’adversaire (en gros : ses coups candidats à lui !). Et ainsi de suite sur 1 coup, 1.5 coups, 2 coups et finalement sur 2.5 coups.

Et vous, comment réfléchissez-vous ?

D’après « Study chess made easy » d’Andrew Soltis

chapitre « Two-and-a-half move chess »

Combien de temps…


… pour réfléchir sur un problème tactique. En fait cela dépend de l’âge du capitaine !

Vous jouez surtout des blitz ? On va dire une dizaine de secondes.

Vous êtes plutôt adepte des Open 90+30 ? On va dire 3-5 minutes.

Vous êtes dans une logique Woodpecker ou répétitions espacées : une dizaine de secondes.

Vous êtes dans une logique de travail sur le calcul : un certain temps.

(Merci à Noël Studer pour ces idées)