Les échecs sont un domaine d’activité complexe. Andrew Soltis évoque un système TMI : Too Much Informations (trop d’informations). Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) y fut déjà confronté en s’initiant à ce jeu, presque à en perdre la raison. Trois cents ans plus tard, la requête « How to be a good chess player » sur google nous donne plus de 64 millions de résultats en 0.5 secondes !! Et « What is the best chess book » sur Bing : plus de 500 000 résultats.
Il est vrai que lorsqu’une personne décide d’apprendre à jouer et de progresser, la tâche est immense et l’étendue des connaissances à acquérir complique cette pratique. L’empirisme et l’approche expérimentale ne seront pas les meilleurs moyens de progresser, car il existe trop d’informations dans lesquelles il est donc facile de se perdre.
Avec ses 64 cases sur lesquelles sont placées 32 pièces composées de 6 pièces différentes, le jeu d’échecs n’a pas encore été résolu comme l’a été le jeu de dames.
Les ouvertures : l’Oxford Companion to Chess dénombre pas moins de 1327 ouvertures ! Certes, entre celles qui sont anecdotiques ou dépassées, l’éventail se restreint. Mais vouloir les connaitre toutes, jusqu’au 10ème coup semble donc infaisable (13 270 positions). Se plonger dans la Sicilienne nous montre déjà l’étendue du répertoire. Et l’erreur serait pour un débutant de se plonger soit dans ce qui semble être l’ouverture la plus fréquemment utilisée, soit dans celle qui semble donner les meilleurs résultats, ou soit dans celle qui a un joli nom, tout en favorisant un travail de mémorisation au détriment d’une bonne compréhension des principes généraux des ouvertures. Le mirage de l’idée trompeuse qu’être bon dans les ouvertures assure une victoire grâce à ces connaissances, ou à quelques pièges, est un leurre.
La tactique : s’il est facile d’apprendre le principe de quelques tactiques théoriques, les mettre en pratique, et être capable de les reconnaitre afin de les exploiter est encore une autre affaire. On n’ose même pas faire l’estimation du nombre de positions tactiques qui ont été présentées dans les livres édités depuis que les premiers ouvrages dédiés à cet effet ont été publiés ! Cela doit probablement friser l’infini. On estime que les joueurs de très haut niveau ont en tête dans les 100 000 positions thématiques (notion de chunk à définir). L’erreur serait de survoler des exemples de clouage, d’attraction, de suppression du défenseur, ou de mat du couloir. Et de passer à autre chose sans travailler régulièrement la tactique.
Les finales : les tables de finales regroupent une très longue liste de positions dont on sait par avance si elles sont gagnantes ou pas (cf les tables de Nalimov). Seule l’informatique permet de recenser tout ça. Le travail des finales peut paraitre rébarbatif. Il serait dommage de négliger certaines techniques malgré tout faciles à acquérir et qui procurent une certaine aisance dans cette partie du jeu. L’austérité de ce calcul pur détourne probablement certains joueurs de cet aspect du jeu.
La théorie : il n’existe pas 1 livre unique sur la théorie des échecs ! Le choix est vaste lorsqu’on désire acquérir un manuel d’échecs. Chaque année de nombreux bouquins sortent afin de nous montrer le meilleur de telle ouverture, ou de nous (ré)apprendre la stratégie. Il est possible de recouvrir un mur entier de votre salle à manger avec tous ces bouquins, en français, en anglais, en russe, en allemand, en chinois… Le joueur débutant risque d’être attiré par des ouvrages au titre prometteur, en négligeant ceux qui promettent plutôt de progresser grâce à un travail long et acharné.
Les chaines Youtube : devenues une réelle activité échiquéenne, de nombreux joueurs (parfois de talent !) proposent leurs visions du jeu : analyses de parties, parties commentées selon les niveaux, exercices en direct, discussions, cours… en nombre d’heures, cela doit être tout aussi énorme que le nombre de positions tactiques exploitables sur Lichess !! C’est bien évidemment devenu un business attractif et si quelques joueurs de talent nous donnent des vidéos de qualité, on a parfois certaines chaines avec une qualité inférieure.
Les coaches : si on y ajoute les sites offrant des programmes d’apprentissage, le choix est vaste ! Il existe même des coaches rémunérés qui ne font que de l’initiation ! Grace à Internet, il est possible d’avoir un coach russe qui parle français et qui réside aux USA ! Les tarifs vont du simple au double, le niveau peut aller de 1700 elo à 2500 elo (intervalle approximatif). Choisir un coach n’aura jamais été aussi facile, mais complexe également.
Les parties : the Week in Chess recense (et met à disposition) toutes les parties officielles de haut niveau. Rien que l’édition 1476 du 6 mars 2023 contient pas moins de 6031 parties, soit plus de 300 000 parties par an ! La database de chessbase contient 8 millions de parties.
Le processus de réflexion : s’il peut être résumé en trois phases (je regarde s’il y a une ou plusieurs menaces, je choisis le meilleur de mes 2-3 coups candidats, je vérifie que mon choix est bon), ce processus reste éminemment complexe dans l’esprit humain avec ses quelques milliards de neurones. La visualisation (imaginer la position des pièces sur un échiquier au bout de 2-3 coups) lors de la recherche du meilleur coup est une aptitude parfois difficile à acquérir.
On se rend compte que mettre bout à bout à bout les idées intéressantes devient complexe pour peu qu’on ne se contente pas de jouer pour passer le temps. Le simple apprentissage scolaire ne suffit plus. Une des méthodes pour y arriver serait, aussi paradoxale soit-elle, de s’imprégner de toute ces donnée de manière sub-liminale. Dan Heisman préconise de lire les parties et de déplacer les pièces sur un échiquier (2 parties par jour, soit 730 par an, 2190 au bout de trois ans). Vishy Anand dit avoir lu plusieurs fois le même livre dans sa jeunesse et qu’imperceptiblement cela contribua à ses progrès.